
L'Europe des citoyens
Europe des peuples ou Europe des marchands? La construction communautaire est née d'une vision politique, celle des pères fondateurs, soucieux avant tout de créer des conditions qui rendraient impossible le retour aux guerres intestines qui avaient ensanglanté le continent. Mais, par souci d'efficacité et pour jeter les bases d'un édifice solide, les promoteurs de la Communauté ont emprunté la voie pragmatique des solidarités concrètes: le charbon et l'acier, le marché commun, la politique agricole, la concurrence…
Ainsi est née une Europe que certains ont qualifiée de technocratique parce qu'elle a fait appel aux experts, aux économistes, aux fonctionnaires. Mais le dessein initial ne se serait jamais concrétisé si la volonté politique des institutions communautaires ne l'avait constamment soutenu.
L'Europe dans la vie quotidienne
Aujourd'hui, la plupart des objectifs fixés par les traités sont atteints: l'espace européen est libéré des contraintes douanières, fiscales et réglementaires qui freinaient l'activité des hommes et la circulation des capitaux et des services. Chacun dans sa vie quotidienne bénéficie, sans toujours en être conscient, des avantages que représente l'achèvement du grand marché: accès à la consommation de produits variés, concurrence limitant la hausse des prix, politiques protégeant les consommateurs et l'environnement, normes harmonisées et tendant à s'aligner sur les critères les plus performants.
De même, les habitants des régions périphériques bénéficient des Fonds structurels, notamment à travers le Fonds européen de développement régional. Les agriculteurs ont bénéficié des mécanismes de soutien des prix mis en place depuis des décennies par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA).
La quasi-totalité des dépenses inscrites au budget de l'Union, qui approchent 100 milliards d'euros en 2003, sont consacrées à des actions qui ont un impact sur la vie quotidienne des Européens.
Dès l'entrée en vigueur du traité de Rome en 1958, le législateur européen s'est employé à donner un contenu aux dispositions favorisant la libre circulation des salariés et la libre prestation de services ainsi que l'établissement des professions libérales. Aucune restriction liée à la nationalité n'est acceptée pour un ressortissant d'un État membre dans la recherche d'un emploi à l'intérieur de l'Union. Les professions libérales ont fait l'objet d'une réglementation harmonisant, par voie de directives, les conditions d'accès aux activités réglementées. Ce travail fastidieux de rapprochement des dispositions législatives a permis d'aboutir à la reconnaissance mutuelle des diplômes de médecin, d'avocat, d'infirmier, de vétérinaire, de pharmacien, d'architecte, de courtier d'assurances, etc.
Mais il restait tant d'activités soumises à des réglementations nationales différentes que les États membres ont adopté, le 21 décembre 1988, une directive instaurant un système de reconnaissance mutuelle des diplômes de l'enseignement supérieur. Ce texte s'applique à toutes les formations universitaires d'une durée d'au moins trois ans et est fondé sur le principe de la confiance mutuelle dans la validité des filières d'enseignement et de formation.
Le premier droit du citoyen européen est donc de pouvoir circuler, travailler et résider dans toute l'Union. Le traité de Maastricht a solennisé ce droit dans le chapitre qu'il consacre à la citoyenneté.
Hormis les activités entraînant des prérogatives de puissance publique (police, armée, affaires étrangères), les services de santé, l'enseignement et les services publics commerciaux pourront s'ouvrir à tout ressortissant communautaire. Quoi de plus naturel que de recruter un teacher britannique pour enseigner l'anglais aux élèves de Rome ou d'inciter un jeune diplômé français à tenter sa chance à un concours administratif en Belgique?
Cependant, l'Européen n'est pas seulement un consommateur ou un acteur de la vie économique et sociale. Il est dorénavant un citoyen de l'Union. L'Europe des citoyens a franchi un saut qualitatif à Maastricht avec la décision de donner le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes à tout citoyen de l'Union résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant. Le traité CE consacre ce principe dans son article 17: "Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas."

Les droits fondamentaux
Le traité d'Amsterdam représente une avancée dans le renforcement des droits fondamentaux. Une procédure de sanctions permettra de suspendre les droits d'un État membre qui violerait des droits fondamentaux. À Amsterdam, on a également étendu le principe de non-discrimination, jusque-là appliqué à la nationalité, au sexe, à la race, à la religion, à l'âge, et à l'orientation sexuelle. Ce principe de non-discrimination a été aussi renforcé en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, le traité d'Amsterdam comporte des améliorations de la politique de transparence et d'accès des citoyens aux documents des institutions européennes.
L'engagement de l'Union en faveur des droits des citoyens a été confirmé de façon solennelle, par la proclamation en décembre 2000 à Nice de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette Charte a été élaborée par une Convention composée de parlementaires européens et nationaux, de représentants des gouvernements nationaux et d'un membre de la Commission. Elle regroupe en six chapitres - "Dignité", "Libertés", "Égalité", "Solidarité", "Citoyenneté" et "Justice" - 54 articles définissant les valeurs fondamentales de l'Union européenne, ainsi que les droits civils et politiques, économiques et sociaux du citoyen européen.
Les premiers articles sont consacrés à la dignité humaine, au droit à la vie, au droit à l'intégrité de la personne, à la liberté d'expression et au droit à l'objection de conscience. Le chapitre "Solidarité" innove en incorporant des droits sociaux et économiques tels que:
- le droit de grève;
- le droit à l'information et à la consultation des travailleurs;
- le droit à concilier la vie familiale et la vie professionnelle;
- le droit aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux à l'intérieur de l'Union européenne ou la protection de la santé.
La Charte promeut également l'égalité entre hommes et femmes et instaure des droits comme la protection des données, l'interdiction des pratiques eugéniques et du clonage reproductif des êtres humains, le droit à l'environnement, les droits des enfants et des personnes âgées ou le droit à une bonne administration.
L'Europe des citoyens préfigure l'Europe politique au stade d'un achèvement qui reste encore à définir. Quelles sont les valeurs et les ambitions collectives que les peuples seront prêts à partager dans une Union européenne d'au moins vingt-cinq membres?
L'Europe de la culture et de l'éducation
Le sentiment d'appartenir à une même collectivité, de partager le même destin, ne peut être créé artificiellement. L'Europe culturelle doit dorénavant prendre le relais de l'Europe économique et contribuer à la formation d'une conscience commune.
Les programmes éducatifs et de formation, encouragés par l'UE à travers Erasmus (programme d'action de la Communauté européenne en matière de mobilité des étudiants universitaires), Comett (programme communautaire d'éducation et de formation dans le domaine des technologies) et Lingua (encouragement à l'apprentissage des langues étrangères), se sont engagés dans cette direction. Plus de 1 million d'étudiants ont pu suivre des cours à l'étranger grâce au programme Erasmus.
L'objectif de 10 % des étudiants qui auront pu consacrer près d'une année universitaire à un séjour dans un pays partenaire a été fixé et requiert un accroissement des fonds communautaires consentis à la politique de l'éducation. Les nouveaux programmes Socrates, Leonardo da Vinci et "Jeunesse pour l'Europe" devraient permettre d'aller plus loin dans ce sens.
La directive sur la télévision sans frontières permet au citoyen d'avoir accès à l'ensemble des programmes de télévision produits en Europe, ceux-ci devant bénéficier d'une priorité dans les grilles de programmes des diffuseurs européens. Elle renforce la protection des mineurs, soutient les œuvres européennes et les productions indépendantes et réglemente la publicité et le téléachat.
Le programme "Culture 2000", programme-cadre 2000-2004, a pour objectif de favoriser la coopération entre les acteurs culturels (créateurs, promoteurs, diffuseurs, réseaux, institutions culturelles).
Le programme MEDIA-plus (2001-2005) apporte un soutien à l'industrie audiovisuelle. Cela pour combler, d'une part, le déficit de productions audiovisuelles européennes face à l'offre américaine et pour favoriser la diffusion intraeuropéenne de ces films ou programmes.

Comment faire adhérer le citoyen européen?
L'Europe des citoyens est à peine née: elle reposera aussi sur la multiplication des symboles d'identification commune, tels le passeport européen, en circulation depuis 1985, l'hymne (l'Ode à la Joie de Beethoven) et le drapeau (un cercle de douze étoiles d'or sur fond azur). Un permis de conduire européen est délivré dans les États de l'Union depuis 1996.
L'élection directe du Parlement européen, depuis 1979, a établi un lien de légitimité directe entre le processus d'unification et la volonté populaire. L'Europe démocratique doit être approfondie par l'accroissement du rôle du Parlement, par l'engagement plus marqué des citoyens à travers les associations et les formations politiques, par la création de véritables partis européens.
La mise en circulation, le 1er janvier 2002, de la monnaie unique a un effet psychologique décisif. Le consommateur gère ses comptes bancaires en euros. Grâce à la fixation des prix des biens de consommation et des services dans la même monnaie, sur la plus grande partie du territoire de l'Union, il a une vision totalement transparente du marché. La suppression des contrôles de police aux frontières entre les pays membres de la convention de Schengen (à laquelle l'ensemble des pays de l'Union devrait progressivement adhérer) accroît déjà la conscience d'appartenir à un espace unifié.
Pour rapprocher l'Union européenne du citoyen européen, le traité sur l'Union européenne a instauré un Médiateur. Le Médiateur, également appelé Ombudsman selon une tradition scandinave, est désigné par le Parlement européen pour la durée de sa législature. Son mandat l'habilite à recevoir les plaintes contre les institutions ou les organes communautaires. La saisine du Médiateur appartient à tout citoyen de l'Union et à toute personne morale et physique résidant ou ayant un siège statutaire dans un État membre. Saisi d'une plainte, le Médiateur européen tente de régler à l'amiable un litige avec les institutions communautaires.
Plus encore, la pratique bien établie du Parlement européen consistant à accepter des pétitions de toute personne résidant dans un État membre reste un lien important entre les citoyens et les institutions.
"Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes", disait Jean Monnet dès 1952. L'adhésion de l'opinion publique à l'idée européenne reste le grand défi auquel doivent faire face les institutions.

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